Avances en Salud Mental Relacional
Advances in Relational Mental Health
Vol. 15 - Núm. 1 - 2016
Revista Internacional On-Line / An International On-Line Journal
EXPERIENCIA GRUPAL EN RWANDA
EXPÉRIENCE GROUPALE RWANDAISE
Suzanne Ehrensperger-Cuénod
suzehrensperger@gmail.com
RESUMEN
El artículo resume la experiencia de formación en liderazgo grupal que los autores han dirigido desde
el año 2001 en que fueron invitados por el Gobierno suizo y los Hospitales Universitarios de Ginebra a
colaborar en la ayuda a la salud mental de los habitantes de Rwanda, gravemente comprometida por
el genocidio sufrido en 1994. Como se ilustra en los resúmenes de casos, las técnicas utilizadas en la
formación grupal ofrecida desde 1994 por el Departamento Universitario de Ginebra debieron ser
adaptadas a la población autóctona, que difería profundamente de la suiza. Esas modificaciones
ilustran las modificaciones que se hacen indispensables cuando se pretende ofrecer una ayuda
adecuada a personas necesitadas tras un proceso de emigración.
Palabras clave: Experiencia grupal, inconsciente grupal, Rwanda, Psiquiatría transcultural
SUMMARY
This article presents a training for group leaders that took place in Rwanda. The training spoke to
caregivers unfamiliar with psychoanalytic concepts and therefore little theoric access to groupal
unconscious movements. Interpretations had to be adapted to make them understandable to
everybody. These adjustments had to take into account cultural difference and gaps in theory.
Key words: group training, group unconscious movements, invariant, Rwanda, transcultural
© 2016. CORE Academic, Instituto de Psicoterapia.
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Experiencia grupal en Rwanda
PRÉAMBULE
Bion: « Un peintre décide de peindre un champ de coquelicots (...) En dépit de la transformation que
l'artiste a opéré à partir de ce qu'il voyait (...) quelque chose est demeuré inchangé et que la
reconnaissance dépend de ce quelque chose ». Bion appelle « invariants » ce qui rend compte de
l'aspect inchangé. (1)
Cette idée d'invariants a été la base de ma réflexion. En effet, malgré de petites différences dans le
setting, quelque chose est resté d'identique dans la formation des « formateurs d'animateurs de
groupe » donnée au Rwanda par rapport aux formations « européennes » ; il s'agit des mouvements
groupaux au sens large. Par contre des adaptations furent nécessaires pour les rendre
compréhensibles auprès des participants rwandais chez qui les notions d'inconscient ne sont pas
habituelles et qui ne maitrisent pas les notions de dynamiques de groupe.
I) PROBLÉMATIQUE RWANDAISE
En 1994, le Génocide rwandais qui fait un million de morts, laisse un pays sans ressource humaine et
avec une population gravement traumatisée. Les intellectuels sont morts ou ont fui le pays. A tous les
niveaux, il faut repenser, remettre en place et recréer. Bien sûr les soins psychiatriques n'échappent
pas à cet impératif. Le gouvernement choisit de former, dans un premier temps, des médecins
pédiatres, obstétriciens, chirurgiens et généralistes, laissant la psychiatrie au second plan.
En 1996, le Dr Naasson Munyandamutsa, en formation en Suisse (spécialisation de psychiatrie et
psychothérapie FMH), rentre dans son pays pour de construire la psychiatrie. Ce projet est financé par
la DDC (Département du Développement et de la Coopération Suisse) et par les HUG (Hôpitaux
Universitaires de Genève), dont l'aide s'arrête en 2008.
En 2007, l' « Association Santé Mentale: Suisse Rwanda » (ASMSR) voit le jour. Elle poursuit les mêmes
buts que les HUG: soutenir et former les collègues rwandais.
Pendant des années, le Dr Naasson Munyandamutsa fera appel à des collègues des HUG pour venir
enseigner la psychiatrie aux médecins généralistes rwandais travaillant soit à la consultation
ambulatoire, SCPS (Service de Consultation Psycho Sociale) soit à l'unique hôpital psychiatrique de
Kigali, Ndera. C'est dans ce contexte que je me rends pour la première fois en 2001 au Rwanda dans le
but de superviser des groupes existants et pour enseigner la dynamique de groupe. Cette collaboration
tournée vers le groupe s'explique par ma formation et mon intérêt pour cette spécialité. En effet, entre
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1994 et 2002, j'ai participé, d'abord en tant que participante, puis formatrice, à la formation de groupe
dite « Cartigny » que le professeur J. Guimon avait mis sur pied à Genève.
Cette formation se déroulait sur quatre semaines dans l'année, du jeudi matin au dimanche midi et
alliait des espaces expérimentaux (sous forme de petits groupes de parole et de grands groupes),
théorique (séminaire de lecture) et de supervision (en petit groupe).
II) SITUATION ACTUELLE DU RWANDA
Entre 1996 et 2014, le Dr Naasson Munyandamutsa (décédé en mars 2016) fut le seul psychiatre et
psychothérapeute au Rwanda; il a enseigné les bases de la psychiatrie, à l'aide de la supervision
formative, de supervisions en groupe, d'apports théoriques. En 2014, le Dr Simon Kanyandekwe rentre
au pays après avoir obtenu son titre de spécialiste en psychiatrie et psychothérapie FMH.
Actuellement, le Rwanda compte onze millions d'habitants pour six psychiatres formés exerçant
principalement dans la capitale, Kigali. Des hôpitaux de districts avec des lits psychiatriques, ainsi que
des consultations ambulatoires sont opérationnels depuis quelques années. Ces unités sont dirigées
par des infirmiers en santé mentale qui sont supervisés par les médecins de Kigali. Depuis un an, le
gouvernement a choisi d'envoyer en périphérie des médecins psychiatres. Dans les soins
paramédicaux, une école d'infirmière forme des soignants, spécialisés en psychiatrie et un
département de psychologie clinique, à l'université du Rwanda forme des psychologues. Depuis deux
ans, un cycle de formation de psychiatres se déroule entre les universités du Rwanda, de la Belgique
et de la Suisse. Les premiers médecins finiront en 2017 leur formation dans le but de rentrer au
Rwanda.
Le rythme journalier des consultations, à Kigali, est très important: trente à quarante consultations par
soignant par jour. Les infirmiers fonctionnent quasiment comme des médecins, dans le sens qu'ils
prescrivent les traitements médicamenteux sur la base de leur diagnostic. Pour le moment, les patients
sont attribués au hasard aux différents soignants.
Par contre, aucun des soignants n'a fait un travail personnel, alors que tous (patients et soignants)
partagent la même histoire traumatique du Génocide de 1994.
Au vu de l'afflux de patients, le groupe s'est d'emblé imposé comme un soin important tant à l'hôpital
et qu'à la consultation. A la consultation, le modèle de groupe est psycho éducatif (pour les patients
souffrant de troubles psychotiques et/ou leurs familles) et informatif à l'hôpital, tels que le « groupe
du matin » et le groupe « préparation à la sortie ».
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Entre 2001 et 2011, je me rendrai plusieurs fois au Rwanda, toujours pour superviser les groupes. A un
moment, il m'a semblé que je ne pourrais pas amener plus de connaissances théoriques à mes
collègues malgré leur demande. Il leur manquait l'expérience personnelle d'immersion dans le groupe.
J'ai repensé à la formation que j'avais suivie à Genève et j'ai imaginé qu'elle serait susceptible de les
aider. Mais elle ne pouvait pas s'exporter à l'identique car il fallait tenir compte des aspects culturels
rwandais. Pour intégrer ces différences culturelles, j'ai demandé au Dr Patana Mulisanze que j'ai connu
en 2007, à Kigali avant qu'il ne vienne en Suisse pour terminer sa formation de psychiatre et
psychothérapeute FMH, d'être mon co-thérapeute. Après une période d'ajustement, nous proposons,
en 2011-2012, un cycle d'immersion dont le setting est le suivant:
Trois fois une semaine, se déroulant du lundi au vendredi, le matin et alliant petits groupes de parole,
séminaire de lecture et conférence.
Nous laissons la possibilité aux participants de s'exprimer également dans leur langue maternelle
(kinyarwanda) et à travers des proverbes qui sont, pour eux, le support des émotions. Le Dr Patana
Mulisanze pourra le cas échéant me traduire.
Nous nous retrouverons alternativement à l'hôpital de Ndera ou à la consultation du SCPS. L'hôpital
de Ndera n'étant pas atteignable par transport public, les transports seront organisés par les
responsables d'unité, comme cela se passe toujours.
Tous les collègues présents pour la formation attendent un cours ex catedra qui pourrait augmenter
leurs connaissances théoriques. Ils seront plus que surpris lorsque nous leur demanderons de laisser
leurs crayons, de s'asseoir en rond et de parler. Cette première session sera extrêmement chaotique.
Chacun cherchant des repères dans cette aventure hors du commun. (2)
Il a dû rester une trace positive de cette aventure car nos collègues redemandent un deuxième cycle
qui aura lieu l'année suivante (2013). Un réel engouement pour le soin par le biais du groupe s'installe
et il semble nécessaire d'organiser une formation des « formateurs d'animateurs de groupe ».
III) PROJET DE LA FORMATION
La formation complète comportera trois cycles de chacun trois semaines à plein temps. Après avoir
participé à la totalité de la formation, les participants pourront alors être formateurs, c'est-à-dire
initier, superviser des groupes et des équipes. Le premier cycle se déroule entre octobre 2015 et mars
2016. Il comporte deux petits groupes de dix participants chacun.
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Le setting est le suivant:
La formation se déroule à Kigali du lundi matin au vendredi après midi (9h-17h), hors des lieux de soins.
Sept petits groupes de parole, quatre grands groupes de parole, quatre groupes de travail (supervision
et/ou mise en place de nouveaux groupes), un séminaire de lecture et une conférence théorique,
s'alternent durant la semaine.
Tableau 1: répartition des participants intégrés à la formation selon genre, professions et provenance
Participants
20
Femmes
11
Hommes
9
Profession
Psychologues
10
Infirmiers
7
Médecins
2
Assistant social
1
Provenance
ONG au Rwanda
5
Périphérie du Rwanda
4
HNP NDERA (Hôpital neuropsychiatrique, Kigali)
3
Pays voisins
3
RBC (Rwanda Biomedical center)
3*
CHUK (Centre Universitaire de Kigali)
2
*: ces trois collaborateurs n'ont pas pu terminer la formation en raison de la préparation de la
commémoration. 1
La commémoration se déroule entre le sept avril et début juillet, chaque année. Elle rappelle l'époque
du Génocide des Tutsi de 1994. De nombreuses manifestations ont lieu qui déclenchent des crises
« d'hystérie » dans la population. Les autorités mettent en place de nombreuses cellules d'intervention
pour y faire face. Le RBC est le centre de coordination pour ces interventions. Notre dernière session
tombait en même temps que l'organisation des commémorations. A nouveau vu le manque de ressources
1
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En début et en fin de journée, les quatre co-conducteurs se réunissent pour un pré- et post-groupe.
C'est un espace d'intervision mais également de formation pour les collègues rwandais. Le petit groupe
co animé par Patana Mulisanze et sa collègue se déroulait en kinyarwanda, alors que celui que je
menais avec mon co-thérapeute était en français. Nous verrons dans ces espaces d'intervision
combien les mouvements groupaux généraux, de formation, de séparation resteront similaires dans
les deux groupes. Les différences se sont situées dans la manière d'intervenir dans le groupe.
Malgré quelques adaptations du cadre, le programme de formation reste très similaire à celui auquel
j'ai participé en Suisse. Je ne parlerai ici que des interactions dans le petit groupe de parole que j'ai
conduit avec mon co-thérapeute rwandais et de la manière dont j'ai dû adapter mes interventions:
Dans la culture rwandaise, les émotions ne sont pas nommées directement. La situation
embarrassante est discutée à travers des proverbes ou de manière allusive. Les échanges peuvent
durer quelques minutes évoquent des joutes oratoires. Par contre, dans leur travail, les soignants ont
appris à demander aux patients de reconnaître et de nommer les émotions qui les agitent.
Le grand défi pour les collègues rwandais fut de se retrouver immergés dans un groupe et de devoir
parler de leurs émotions.
Vignette clinique 1
Nous sommes au début de la première session, le groupe débute en silence. Les participants sont mal
à l'aise et se regardent attentivement. Un homme dit:
-C'est difficile pour nous professionnels d'être ici, sans thème, alors que nous venons pour apprendre.
Qu'allons-nous apprendre si nous n'avons pas d'agenda, de thème journalier? Nous n'avons pas
l'habitude de fonctionner ainsi.
Silence.
SE: N'avez-vous pas dit que le groupe du matin à l'hôpital est également sans thème? Tous les matins,
les patients vivent ce que nous partageons en ce moment, c'est à dire l'angoisse de perdre nos propres
contours, de se dissoudre dans la rencontre au groupe.
humaines, les trois participants faisant partie de la formation ne pouvant pas être remplacés dans leur
travail, n'ont pas pu être présents.
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Comme le mentionne Claudio Neri, les angoisses de début de groupe sont toujours très importantes
(3). Dans mon petit groupe, elles se sont traduites par des silences pesants et des retranchements
derrière des aspects culturels. Et ce d'autant plus qu'ils étaient venus en espérant une formation ex
catedra et non une immersion personnelle. Une interprétation groupale n'aurait été d'aucune aide à
ce moment du groupe; il a donc fallu trouver une autre manière d'intervenir. L'alliance des cognitions
avec un exemple amené dans le groupe a été le moyen d'évoquer ces angoisses de début de groupe.
La référence faite à un auteur calme beaucoup les participants qui se mettent à parler. En fin de cycle,
on constate une attitude différente face aux émotions.
Vignette clinique 2
Dans la dernière session, un participant, Eric annonce qu'il sera absent le lendemain pour le dernier
petit groupe.
Paul lui demande ce qu'il ressent.
-Je ne sais pas bien. Ce n'est pas très clair pour moi.
Paul insiste.
Je dis: Peut-être n'est-ce vraiment pas clair pour Eric? Peut-être vit-il plusieurs émotions en parallèle?
Silence.
Paul reprend:
-Je vais me souvenir que parfois les émotions ne sont pas encore claires. Je vais moins insister auprès
des patients. J'ai cru qu'ils refusaient simplement de les dire.
Quelque chose s'est modifié au fil des sessions. Un climat de confiance rend le partage émotionnel
possible. Des participants nomment la tristesse liée à la fin de la formation. D'autres, le soulagement
d'être arrivés à la fin du cycle. Mais également, ces soignants peuvent s'imaginer ce que leurs patients
vivent dans les groupes. Une ébauche d'identification a lieu. Ce point a beaucoup enrichi leurs
consultations, même individuelles. Le silence a pris une autre teinte, pas seulement d'angoisse et de
solitude, mais également réflexif.
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Au Rwanda, le respect des aînés est très important; Il est difficile de contester leurs dires. Les conflits
liés aux positions parentales sont simplement esquivés; même demander des explications à une figure
d'autorité peut paraître comme une contestation de son statut.
Vignette clinique 3
Dans le grand groupe, deux participants de mon petit groupe interagissent vivement.
Jean demande aux autres membres leurs réflexions durant ce moment de silence (assez lourd). Il insiste
disant qu'il voudrait bien une réponse.
Silence.
Une femme (la plus âgée de notre petit groupe) affirme:
-Tu veux être co-thérapeute.
Jean se tait et se met en retrait.
Le lendemain, dans le petit groupe, mon co-thérapeute reprend l'interaction car il a remarqué que
lors du grand groupe, Jean s'est endormi. A sa question, Jean répond:
-Je me suis senti remis à ma place un peu sèchement. Que dire? Si Mama (nom donné aux personnes
âgées) dit quelque chose, je ne peux pas la contrarier. Je lui dois le respect et donc je me tais. Je ne peux
rien dire dans cette situation.
Il était néanmoins très important de pouvoir discuter ce conflit, des différences entre les participants
et les conducteurs. Foulkes nous a permis de surmonter cette difficulté. Selon cet auteur, je suis un
membre à part entière du groupe et j'y participe avec toute mon histoire (4). Il m'a donc été possible
de parler d'une position « européenne » face à cette situation; dire que nous aurions pointé la rivalité
entre les membres, le conflit sous-jacent, que nous pourrions exprimer notre désaccord avec le
conducteur ou d'autres membres du groupe sans que cela ait de conséquences relationnelles. Ces
explications ouvrent la discussion à propos des hiérarchies dans le groupe: Dans cette situation, Mama
est-elle l'aînée? La mère? La grande soeur? En tant que conductrice, suis-je la plus importante? Alors,
si oui, Mama est une grande soeur et on peut lui dire un peu son désaccord. Mon co-conducteur m'a
donc souvent posé des questions, demandé des explications à propos de mes interventions dans le
groupe, servant de relais entre le groupe et moi. Mais suite à cet échange, les membres du groupe
pourront parfois me demander directement ma position dans un conflit ou des explications face à une
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de mes interventions. Mes explications seront suivies par des discussions en kinyarwanda. Les
participants cherchent des proverbes se rapportant à la situation groupale et en lien avec leur propre
culture sociétale.
Vignette clinique 4
Nous sommes en train de parler de conflits et je remarque que des participants quittent le groupe pour
aller aux toilettes (ce qui est habituel, mais le nombre d'aller-retour est beaucoup augmenté). Je
propose au groupe une interprétation liant les sorties au sujet abordé. Le groupe s'étonne, rit et me dit
que j'exagère un peu.
C'est alors qu'une participante se souvient qu'il y a des années, lors d'une supervision, le thème
ethnique qui reste extrêmement sensible pour les rwandais, est effleuré. Le superviseur propose de
prendre une séance entière pour en parler. Il demande l'avis du groupe qui donne d'accord. Mais la
participante se souvient alors que les membres du groupe étaient tous sortis à tour de rôle pour aller
aux toilettes. Ces allers-retours avaient beaucoup perturbés la fin du groupe. Elle comprend maintenant
que c'était en lien avec la proposition d'aborder un sujet aussi sensible que celui des différences
ethniques et qu'il devait y avoir beaucoup d'inquiétudes sous-jacentes.
De fait, rien n'a été dit à propos des sorties et de l'angoisse sous-jacente. A la supervision suivante, le
thème n'est pas repris et à nouveau rien n'est dit de cet «oubli».
Bion a permis de montrer les mouvements inconscients dans le groupe et de minimiser les fantasmes
mortels autour de l'agressivité (5). A nouveau, le fait que ces mouvements aient été reconnus, décrits
dans la littérature a eu un effet calmant pour les participants.
Démontrer les mouvements groupaux inconscients fut pour moi difficile. Les notions théoriques
psychanalytiques n'étant pas partagées par tous, il nous a manqué un socle commun. Et pourtant, les
mouvements inconscients sont ce qu'il faut interpréter pour permettre au groupe de fonctionner.
Dans la situation où tout doit être compris, maîtriser, connus et surtout sans conflit, ce fut un grand
défi de trouver le moyen de s'introduire dans cette résistance. Les hypothèses de base de Bion ont
permis de parler de cette partie inconsciente.
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IV) DISCUSSION
La formation de la FMH, (Fédération des Médecins Helvétique) pour le titre de psychiatre et
psychothérapeute, exige une expérience personnelle en psychothérapie. C'est une exigence qui prend
tout son sens lorsque l'on pense aux multiples facettes que la relation thérapeutique peut prendre. Et
aussi, combien il est utile de mieux se connaître pour être thérapeute. Dans la formation en santé
mentale au Rwanda, ce point fait défaut par manque de psychothérapeutes. Cette formation a comblé
partiellement ce point. Il ressort des évaluations des participants, une plus grande connaissance d'euxmêmes, une meilleure compréhension de la dynamique de groupe, ce qui a augmenté leur confiance
en eux-mêmes. C'est, également, ce qui leur a permis de reconnaître et d'exprimer plus d'émotions
en fin de formation (par exemple, concernant les angoisses de séparation). Il manque encore
actuellement, les notions partagées autour des théories psychanalytiques ce qui freine la mise en place
de groupe psychothérapeutique.
Les espaces de supervisions ont permis une meilleure intégration théorico-clinique ce qui s'est traduit
par une clarification des groupes en place ou à venir et de leurs buts. Tous ces groupes sont de types
psycho éducatifs ou occupationnels. Les animateurs se sentent beaucoup plus à l'aise pour aborder les
émotions, laisser le groupe se dérouler. Ils n'ont plus besoin de tout maîtriser, ou de suivre un
protocole de manière rigide.
Jusqu'à ce jour, le travail dans les lieux de soin a beaucoup été inspiré des consultations médicales
somatiques. La continuité dans laquelle s'inscrivent les aspects relationnels et la résistance si
caractéristique du travail de psychothérapie, n'a que peu été prise en compte. Le fait que la formation
se déroule sur trois sessions a permis aux participants de vivre cette continuité/discontinuité. Le besoin
d'échange entre professionnels a abouti à une demande de supervision à distance (via Skype) et/ou
d'organiser un suivi post-formation de supervision régulière.
Grâce à Bion et Foulkes, entre autres, nous savons que les soins groupaux sont efficaces et exigent peu
de ressources humaines.
L'autre point important de cette formation, mais plus indirect est celui de recréer, dans ce pays où les
attaches sociales ont été si malmenées, un sentiment d'appartenance à un groupe (6).Non pas un
groupe idéalisé, mais bien celui nécessitant un apprentissage jamais totalement acquis. Lorsque les
uns ou les autres se sont entre-aidés entre les sessions ce but était atteint.
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V) CONCLUSION
Les « invariants » entre la formation genevoise et rwandaise se sont situés non seulement au niveau
du setting de la formation mais également au niveau mouvements groupaux. Pour les collègues
rwandais, la partie inconsciente du groupe n'existe pas car non visible. Il a donc fallu tout au long de
cette formation chercher des traductions rendant ces mouvements groupaux accessibles à leur
compréhension. D'après Foulkes, le conducteur est un membre à part entière du groupe, présent avec
sa propre histoire. La mienne s'étaye doublement: je suis ancrée dans ma culture européenne et dans
ma culture groupale. Ce double appui m'a donné une assise pour nommer les émotions, les
mouvements groupaux inconscients que je percevais. Ce fut notre premier pont. Il manquait aux
collègues rwandais l'ancrage de ces mouvements groupaux dans leur propre culture. Ils l'ont cherché
dans des proverbes qualifiant ces moments. C'est seulement lorsque nous avons pu chacun nous
appuyer sur nos cultures que nous avons pu construire ensemble un nouveau langage qui nous
permettra des interprétations dans le futur.
BIBLIOGRAPHIE
1. Bion Wilfred R. (2010) « transformations: passage de l'apprentissage à la croissance » chez
bibliothèque de psychanalyse
2. Ehrensperger-Cuénod Suzanne et al (2014) « Rencontres » p.267-274 dans Management
interculturel, altérité et identité chez Harmattan
3. Neri Claudio (1997) « Le groupe. Manuel de psychanalyse de groupe ». Paris: Dunod
4. Foulkes H.S. (1970) « Psychothérapie et analyse de groupe », Paris: Payot
5. Bion Wilfred R. (1960) « Recherche sur les petits groupes », Paris: PUF 1965
Frendenrich-Mühlebach Anelise et al (2004) « 10 years of analytic group training in blocks » in
European Journal of Psychiatry, Supplement 44-48
Fredenrich-Mülebach Anelise et al (2009) " Sur les traces de Foulkes, "chef d'orchestre » des
groupes en institution » dans Revue de Psychothérapie Psychanalytique de groupe No 52
Guimon José (2001) "Introduction aux therapies de groupe. Théorie, techniques et programmes."
Chez Masson.
Guimon José et al (2002) "Thérapies de groupe brèves" chez Masson
Kacha Nadia (2011) "La fonction contenante du thérapeute" dans : Groupe, contenance et
créativité, Toulouse, Erès
Sironi Françoise (2007) « Psychopathologie des violences collectives » chez Odile Jacob.
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