Avances en Salud Mental Relacional / Advances in relational mental health
Vol.1, núm. 4 - Marzo 2005
Órgano Oficial de expresión de la Fundación OMIE
Revista Internacional On-line / An International On-line Journal
EVOLUTION D'UN GROUPE D'EXPRESSION
DANS UN CENTRE DE THERAPIES BREVES
(C.T.B.) :
DU NON VERBAL AU VERBAL
DOMINIQUE DE VERDIERE et S. ZIVOJINOVIC
RESUMEN
Después de crear un taller de expresión (trabajo de la tierra, dibujos, collages,
fotomontajes, etc), los autores, psicólogos de formación, describen el deslizamiento
progresivo hacia un grupo cohesionado que pudo ser definido como un grupo verbal
centrado alimentado por narraciones de acontecimientos que cada paciente podía
identificar como propios. Se demostró este grupo fue muy eficaz.
Esta experiencia nos remite a plantearnos la cuestión: "¿Qué terapeutas para qué
grupos?
PALABRAS CLAVE
Terapeutas, grupos.
SUMMARY
After creating an expression workshop (work with the earth, drawing, collages,
photomontages, etc), the authors, psychologists by training, describe the progressive
slide towards a united group which could be defined as a centred verbal group fed by
the telling of events that each patient could identify with as their own.
It was shown that this group was very efficient.
This experience makes us ask the question: "Which therapists for which groups?"
KEY WORDS
Therapists, groups.
RESUMË
Après avoir essayé de créer, dans un Centre de Thérapies brèves un atelier d'expression
(travail de la terre, collages, dessins, photomontages, etc.) les auteurs, psychologues de
formation, décrivent le glissement progressif vers un groupe « presse » qui pourrait être
défini comme un groupe verbal autocentré alimenté par des récits d'événements que
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l'un ou l'autre des patients peut identifier comme lui appartenant. L'efficacité
thérapeutique de ce groupe s'est révélée très positive.
Cette expérience nous questionne sur le thème : « quels thérapeutes pour quelle
thérapie ? »
MOTS CLÉS
Thérapeutes, thérapie.
Parmi les expériences groupales à but thérapeutique, il y a celles qui se veulent bien
codifiées, qui obéissent dans leur déroulement à des règles précises, déterminées par des
objectifs tout aussi bien définis. C'est le cas, par exemple, des groupes psychanalytiques
et souvent aussi des groupes systémiques.
Mais à côté de ces expériences, il y a place pour d'autres techniques groupales dont les
ambitions thérapeutiques sont plus modestes en apparence mais qui sont parfois mieux
adaptées à telle ou telle catégorie de patients.
L'expérience groupale que nous relatons s'inscrit dans le cadre de l'activité
thérapeutique d'un Centre de thérapies brèves de Hôpitaux Universitaires de (HUG).
Le lieu de soins dans lequel ce groupe s'inscrit
Ce dispositif de soins fasait partie d'un des trois secteurs de psychiatrie des HUG. C'est
une unité intermédiaire entre la consultation ambulatoire et la clinique psychiatrique. Né
d'un ancien hôpital de jour transformé en 1983 pour mieux répondre aux besoins d'une
clientèle en évolution, le C.T.B. accueille la journée (et si nécessaire la nuit mais pas
plus de deux nuits de suite) des patients en crise pour une période allant de quelques
jours à quelques mois.
Un programme thérapeutique assez intensif, individuel et souvent groupal, nous permet
de traiter des patients assez gravement décompensés (en particulier sur le mode
dépressif). Le programme groupal comportait au début : des groupes de discussion
focalisés sur des thèmes (comme la crise ou la vie quotidienne) et des groupes de
psychomotricité.
Nous avions voulu élargir l'éventail des groupes proposés en ajoutant un troisième type
de groupe : le groupe d'expression, qui nous semblait complémentaire par rapport aux
groupes verbaux et corporels. Il offrait lui aussi aux patients une stimulation et une
socialisation et présentait en outre les avantages suivants :
si certains patients reçoivent des prescriptions groupales « à la carte » en
fonction de leurs problèmes spécifiques ou de tel ou tel stade de leur évolution, d'autres
ont besoin d'un contenant permettant une mobilisation intensive par des repères
quotidiens, au moins dans un premier temps, pendant lequel ils prennent alors tout le
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« menu » groupal de la semaine. Et nous avons constaté qu'une certaine variété dans les
activités proposées permettait un meilleur « accrochage » thérapeutique et des contacts
plus diversifiés ;
par ailleurs, certains patients ayant des difficultés à s'exprimer spontanément
dans un groupe de discussion, nous avons pensé qu'une activité concrète utilisée comme
objet transitionnel permettrait un contact médiatisé, facilitant la verbalisation.
Comme pour les autres groupes du C.T.B., nous avions posé des contre-indications,
liées plutôt à des comportements incompatibles avec une activité de groupe : c'est ainsi
que des patients aux comportements psychopathiques revevaient un programme
uniquement individuel, alors que des patients en phase maniaque ou mélancolique
recevaient dans un premier temps des soins individuels, leur entrée dans les groupes
n'intervenant qu'après une amélioration de l'état thymique.
Résumé des quatre premiers mois
Le groupe d'expression commença à une fréquence d'une fois par semaine à raison
d'une heure avec les patients. Pour les animateurs, un pré-groupe d'une demi-heure
permettait la transmission d'informations nécessaires au bon fonctionnement du groupe,
un accord sur la conduite de l'activité prévue et, le cas échéant, l'accueil d'un nouveau
patient à qui nous nous présentions pour lui expliquer individuellement le but et les
règles de ce groupe. Un post-groupe d'une demi-heure nous permettait de discuter entre
nous de la séance et d'éventuels problèmes de co-thérapie avant de préparer la séance
suivante.
En effet, nous avions au début fonctionné empiriquement, un peu comme un « atelier
polyvalent » sauf que, contrairement aux expériences notamment de G. Lafargue, citées
par J. Broustra, différentes médiations ont été proposées successivement aux patients et
non pas laissées à disposition toutes ensemble.
Cela nous avait permis d'expérimenter divers modes d'expression, de faire vivre aux
patients des expériences variées et de travailler par la suite une possible demande de
leur part.
C'est ainsi que nous avions utilisé successivement : le travail de la terre, des collages ou
photomontages, des écrits ou dessins réalisés au son d'une musique relaxante, des
lectures de poèmes, etc.
En fonction des patients présents, nous pouvions parfois les laisser libres de choisir un
thème alors qu'à d'autres moments, nous démarrions la séance en proposant un thème
pour encourager à s'exprimer ceux qui auraient été trop angoissés d'être livrés à euxmêmes et à leurs propres inhibitions (renforcées par l'état dépressif). C'est seulement
grâce au support du thème et de l'activité que ces patients arrivaient finalement à sortir
un peu d'eux-mêmes et à partager quelque chose avec les autres.
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Pour illustrer ce début de groupe, nous donnerons un premier exemple :
Après une séance où les patients avaient pu dessiner, chacun pour soi, comment ils
vivaient la participation à un groupe, nous avons voulu pousser l'expérience plus loin,
avec un dessin collectif sur le thème du groupe. Les trois patients présents ce jour-là se
sont d'abord montrés perplexes, puis ils ont proposé chacun quelque chose :
-
Madame A. voulait dessiner « un coeur et un oeuf cassé » parce que « le coeur,
c'est la santé, aimer et être aimé, et un oeuf cassé parce que c'est fragile »
-
Monsieur B. souhaitait dessiner « la maison de ses rêves » où il aimerait se
retirer, tout en sachant que c'est impossible
-
Madame C. voulait dessiner « une barque pleine de cailloux, qui coule »
Nous posons alors la question : que pourrait-on retenir de toutes ces idées et mettre en
commun pour un dessin en groupe ? Suit une discussion au terme de laquelle chacun est
d'accord de dessiner un coeur et d'y mettre quelque chose de différent. C'est ainsi que
Madame A. dessina son coeur et, dans un coin, un oeuf cassé avec le commentaire
suivant : « dans mon oeuf, il y a de l'orange, c'est la vie, ce n'est pas forcément négatif.
Même s'il est cassé, ça ne veut pas dire que c'est fini ». Et Madame C. ajoute : il est
quand même fécondé ! »
Monsieur B. metta dans son coeur la maison de son enfance dans un pays lointain et dit
avec beaucoup de nostalgie : « c'est la fin d'une grande famille, nous sommes devenus
des réfugiés et je n'ai pas d'enfant ». Il hésite à mettre de la couleur car il a de
« mauvaises pensées », dit-il, des « pensées tristes ». Madame A. le comprend : « si
votre état d'âme est comme ça, il ne faut rien forcer ». Il fait tout de même son coeur
rouge et bleu, car sa famille était « francisante » dit-il, et c'est important pour lui.
Madame C., enfin, se rallia à l'idée du coeur mais renonce à la barque qui coule pour
faire « un nuage gris qui pleure » : c'est comme je me sens aujourd'hui », dit-elle, « le
coeur lourd, plein d'orages, il pleut ».
En fin de séance, nous avions valorisé l'effort fait pour répondre à une consigne
difficile, entendu le besoin de chaleur humaine exprimé à travers ces coeurs et souligné
l'intérêt des points communs que l'on peut trouver avec d'autres, mais aussi des
particularités individuelles qui rendent l'échange plus enrichissant.
Autres exemples tirés de la période où nous avons fait du collage ou plus modestement
des panneaux illustrant, à l'aide de photos découpées dans des magazines, des thèmes
généralement proposés par les animateurs.
Comme le thème de « la dépression : comment la faire comprendre à son
entourage ? »
Monsieur D. aurait voulu trouver une photo de « voilier échoué sur le sable », mais, à
défaut, a découpé « un oiseau avec une aile coupée qui l'empêche de voler » et « une
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voiture dont le cerveau (soit le moteur) fonctionne mais qui ne peut rouler car ses roues
sont endommagées ».. .
Ou encore le thème de « la solitude et comment en sortir ? » qui avait suscité pas mal de
réactions :
Monsieur D. avait découpé d'abord des photos en noir et blanc, d'une femme seule en
train de boire et de croix sur des tombes (« on est seul dans la mort ») puis, en guise
d'antidote : une photo en couleur d'une mère avec son bébé, souriants (il nous parle
ensuite de sa petite-fille qui est très importante pour lui).
Monsieur E. illustra lui aussi la solitude en noir et blanc avec le Forum des Halles
(l'image même de ce qu'il détestait : la solitude dans la foule) alors que le contraire de
la solitude était pour lui le couple, qu'il a représenté par une photo en couleur du film de
W. Allen : « la rose pourpre du Caire ».
Madame G., dont la spécialité était de découper presque exclusivement des photos de
nourriture, nous avait fait le commentaire suivant : « quand on est seul mais qu'on
mange, on n'est pas si seul ! » avant d'ajouter : « il y a aussi la possibilité de partager ce
plaisir avec d'autres », et de découper la photo d'une table d'anniversaire, prête à
accueillir les invités.
Enfin, Madame H. illustra la solitude par un auto-portrait de Dali qu'elle intitula
« narcissisme », avant de découper la photo en couleur d'une « jeune femme qui court...
à la recherche de contacts... je crois qu'elle va au C.T.B. ! » a-t-elle ajouté, ce qui a fait
sourire les autres membres du groupe.
Pendant cette première période où nous tâtonnions d'une activité à l'autre et étions à la
recherche de thèmes susceptibles de « parler » à nos patients, nous nous posions
beaucoup de questions sur la meilleure façon de gérer ce « nouveau groupe », nous
demandant comment ne pas en rester à quelque chose de purement occupationnel et
comment stimuler la créativité des patients sans les bloquer par des consignes trop
difficiles. Pour rendre ce groupe plus thérapeutique, il nous fallait l'inscrire davantage
dans les objectifs généraux de la prise en soins au C.T.B., à savoir : mobiliser les
patients qui avaient trop tendance à se replier sur eux-mêmes dans une attitude de
passivité et d'attente magique par rapport à l'entourage les sensibiliser au maximum à
leur problématique interne et leur permettre de vivre quelque chose qui favorise les
liens, dans un double objectif de socialisation et de développement de « l'insight ».
Il s'agisait, en effet, de les aider à ne pas tout recouvrir après la crise mais à se motiver
pour se prendre en charge à plus long terme, ailleurs.
Il nous avait semblé important, à ce stade-là, de leur demander leur avis sur les divers
modes d'expressions expérimentés.
Nous souhaitions, en effet, que ce groupe ne soit pas seulement le reflet de notre désir à
nous mais réponde davantage aux besoins des patients.
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Nous leur avions donc demandé de nous dire quelles activités et quels thèmes ils avaient
préférés, ou moins aimés, et pourquoi. A notre grande surprise, ces questions pourtant
simples les ont jetés dans une réelle perplexité. A l'exception d'un patient, personne
n'osait se lancer ni dans les critiques ni dans l'affirmation de préférences, comme s'il
était dangereux de critiquer des soignants dont ils se sentaient encore si dépendants ou
comme si le fait d'exprimer des préférences allait les obliger à se montrer plus actifs
dans la voie choisie... Mais finalement, presque tous les patients ont préféré les
photomontages, qui leur paraissaient moins difficiles que le dessin ou d'autres activités
plus « artistiques ». Plusieurs ont souhaité avoir plus de temps pour la discussion sur
l'actualité. Et à notre question : « avez-vous des idées ou des suggestions pour la
suite ? » Monsieur D. a répondu qu'il pourrait amener un journal pour discuter en
groupe de l'actualité du jour en prenant le temps d'approfondir les échanges. Nous
avons accepté cette proposition et avons décidé de la combiner avec le photomontage
pour garder un aspect médiatisé à une activité qui était en train de se transformer en
groupe de discussion. A la séance suivante, nous avons mis au centre de la table un
grand carton, des ciseaux et de la colle et nous avons donné la consigne suivante : « en
parcourant le journal « La Suisse », pouvez-vous découper et coller sur ce panneau un
ou des articles que vous aimeriez discuter avec les autres ? ».
C'est ainsi que le groupe d'expression s'était assez rapidement transformé en « groupepresse ».
Dans le temps de la séance, le survol du journal et la sélection des articles n'ont pris
qu'une vingtaine de minutes et le panneau sevait de support à la discussion qui
constituait l'essentiel de la séance.
Ce groupe ne comportait pas plus de sept patients et, certains jours, il arrive que tel ou
tel d'entre eux n'ait pas envie de choisir des articles. Mais il était extrêmement rare
qu'ils ne participent pas à la discussion sur les sujets choisis par d'autres. Le groupe
avait donc pour eux un côté stimulant.
Il était d'ailleurs intéressant de voir de fois en fois comment le groupe se répartait aussi
bien le temps que l'espace. Si certains restaint plus en retrait, d'autres envahissent le
groupe, telle cette patient dispersée que nous avions de la peine à contenir au début
quand il lui arrivait de découper jusqu'à onze articles pour la même séance ! Elle avait
pu néanmoins évoluer par la suite.
Les deux thérapeutes avaient un rôle à plusieurs facettes : animateurs, observateurs et
participants, nous avions aussi un rôle de régulation, donnant la parole aux silencieux et
demandant à ceux qui parlent beaucoup d'écouter à leur tour.
Nous découpions aussi parfois des articles, quand il nous semblait que cela pourrait
susciter un échange intéressant (entre autres un article sur la contraception, alors que
jusqu'à présent la sexualité était peu évoquée dans ce groupe ou encore nous avions
ramené sur le tapis la prise d'otages de l'Achille Lauro lorsque cet événement qui était
en première page avait été soigneusement évité par le groupe...) Mais, pour la
présentation des articles lors du tour de table, priorité est donnée au choix des patients,
bien évidemment.
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Le panneau était souvent assez illustratif de l'ambiance du groupe ce jour-là. C'est ainsi
que certains découpaient des articles « météo » (« temps variable » - arc-en-ciel dont ils
soulignent qu'il est « gris » comme leur humeur, « les jours où l'on n'arrive pas à
accrocher un sourire à sa face... »).
Si nous voulions énumérer les principaux thèmes de discussion, nous pourrions
commencer par les extrêmes :
-
Le « carnet noir » rassemblerait toutes les catastrophes dont les médias sont
truffées et que nos patients déprimés soulignent largement : catastrophes
naturelles comme les tremblements de terre ou glissements de terrain, accident
du Paris-Dakar et autres faits divers dramatiques (citons pêle-mêle : « enfant
disparu, bébé tué d'une gifle, corps d'un inconnu repêché dans le Rhône, etc.).
-
Le « carnet rose » concernerait, lui, tous les sujets de divertissement (spectacles,
hobbies, sports) ou les motifs d'espoir comme cet entrefilet : « enfin, une bonne
nouvelle, l'herbe repousse en Erythrée ! »
-
Entre les deux, le « carnet gris » grouperait plutôt les nouvelles locales et les
anecdotes ou événements mineurs (par exemple les vendanges, « le prix du pain
augmente », « chiens interdits dans les restaurants »...)
-
La politique n'est pas le thème dominant mais elle n'est pas non plus évitée,
témoins ces titres : «Les possessions françaises dans le Pacifique. Le Pen à
l'heure de la vérité, etc.
-
La santé occupait une place privilégiée : cela va des « pilules aux plantes » à la
critique de la psychiatrie genevoise, en passant par un cours de diététique, une
initiative contre la vivisection, les trafics de foetus, le sida, etc.
-
Un des thèmes les plus fréquents concernait les marginaux de tout genre
(prisonniers, réfugiés, dissidents, drogués et autres minorités auxquelles nos
patients s'identifient souvent en tant que victimes des nantis ou de l'autorité, ou
en situation d'infériorité par rapport aux bien-portants...)
Tous ces thèmes permettaient de partager un vécu et des réflexions qui n´étaient pas que
des discussions de salon ou de bistrot sur l'actualité extérieure mais constituaient un
début d'élaboration de sujets concernant chacun : la violence, la déprime, l'espoir, etc.
Il arriva que certains patients décollaient de la consigne de façon créative en découpant
des mots sortis de leur contexte pour former des phrases de leur cru ou en se servant
d'une illustration pour adresser un message au groupe. Citons entre autres cette image
tirée d'une publicité représentant une caravane avec son guide : ceci avait entraîné toute
une série d'associations sur la dépression comparée à une traversée du désert par des
chameaux chargés d'un lourd fardeau, se frayant péniblement un chemin à travers des
contrées hostiles mais se dirigeant tout de même vers l'oasis-refuge..
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Le départ d'un patient du C.T.B. était souvent commenté ici de manière très
personnelle : c'est ainsi que Monsieur E., très tendu et fermé à son arrivée (où il
ressentait le C.T.B. comme un ensemble d'yeux qui le persécutaient) a pu quitter le
Centre après six mois de programme groupal intensif. Ce jour-là, il a découpé une photo
d'Einstein et un article disant que souvent nous n'utilisons que 10 % de notre cerveau et
que nous avions donc encore bien des ressources inexploitées. Il a ajouté avec un petit
sourire que, s'il l'avait eue à sa disposition, il aurait préféré découper la célèbre photo
d'Einstein tirant la langue : ce qui aurait été sa manière de nous tirer sa révérence en
nous montrant qu'il n'avait plus besoin du C.T.B., s'il avait pu retrouver son humour
bien à lui...
Dernier exemple : celui de Monsieur F. 45 ans qui, après cinq mois d'hospitalisation
pour un état dépressif majeur lié à un conflit conjugal, a eu besoin de dix mois de prise
en soins massive et simultanée au C.T.B. et au Foyer, avant de retrouver
progressivement son autonomie. Il avait longtemps participé au groupe de discussion
sur la crise, où il déposait en quelque sorte sa « partie malade », exprimant là son
désespoir et ses idées suicidaires. Alors qu'au groupe d'expression et au Foyer, il
montrait plutôt son « côté sain », prenant volontiers un rôle d'aîné épaulant les
nouveaux arrivés et se valorisant à travers les discussions, où il faisait figure de
« sage », étant donné la pertinence de ses propos.
Vu le risque de suicide, il nous avait paru essentiel de l'accompagner tout le temps
nécessaire et de respecter sa fierté blessée en lui fournissant, via ses enfants, une excuse
honorable pour renoncer à ses symptômes. Dans ce groupe, il avait commencé par
découper des articles concernant des sportifs, avant de reprendre sérieusement un
entraînement sportif personnel. Et ce n'est sûrement pas un hasard si, lors de sa dernière
séance il avait découpé un article concernant un « self-made man : après avoir été si
longtemps dépendant de plusieurs équipes soignantes, il avait pu reconquérir son estime
de soi et reprendre sa liberté par rapport aux « Psy » : l'honneur était sauf...
Ce groupe présente entre autres avantages celui de permettre une décentration par
rapport à la maladie. Le patient y révèle une identité plus globale et sociale que sa seule
« étiquette » pathologique, puisque ses intérêts, ses goûts ou ses capacités peuvent s'y
exprimer plus facilement que dans d'autres activités. Le risque d'évitement de sa
problématique existe : en effet, si nous n'y prenions pas garde, la discussion pourrait
rester extérieure, anecdotique ou axée sur des généralités. Mais pratiquement il est bien
rare que les patients ne parlent pas d'eux-mêmes, sinon directement d'emblée, du moins
à travers les articles choisis, qui servent en quelque sorte de « locomotive ».
En prenant ce virage un peu inattendu, nous ne pensions pas que trois ans plus tard, ce
groupe existerait toujours sous cette forme, passant même à une fréquence de deux
séances par semaine, tant cette nouvelle formule s'avérait riche de possibilités
d'échanges au niveau social entre les patients et riche d'interactions, pour chacun, entre
l'actualité extérieure et le monde interne.
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RESUMÉ
Il nous faut nous demander pourquoi ce groupe a évolué de cette manière, de quelque
chose de peu verbal au départ, à une plus grande verbalisation. Il y a probablement
plusieurs raisons.
- Du côté des patients : si au début ils ont suivi nos diverses propositions avec un certain
intérêt mais aussi pas mal de difficultés, ils ont pu dire clairement par la suite qu'ils
n'étaient ni des artistes, ni des enfants et qu'aussi bien leur créativité que leur
spontanéité étaient inhibées du fait de leur dépression.
Un groupe de psychotiques aurait sûrement réagi différemment mais ce n'était pas là la
majorité de notre clientèle.
- Du côté des animateurs : nous avions bien sûr aussi nos limites. S'intéresser à l'art et
à l'expression ne suffit pas. A l'époque, nous n'avions même pas encore suivi de
sensibilisation à l'Art-Thérapie. Cela pose donc toute la question de la formation. Ne
s'improvise pas Art-thérapeute qui veut. Et si nous sommes plus à l'aise dans le
maniement des mots que dans celui des pinceaux, si nous avons choisi de nous former
plutôt pour la psychothérapie de groupe, il n'est pas étonnant que ce glissement ait eu
lieu : après tout, on ne peut donner que ce que l'on a...
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