Vol. 2, núm. 1 - Marzo 2003
Revista Internacional On-line / An International On-line Journal
Réflexions sur la co-thérapie : changements de co-thérapeutes dans des
groupes semi-ouverts en institution
Dominique de Verdiere (Genève)
Psychologue spécialiste en psychothérapie FSP, membre de l' ARPAG et de la Group Analytic Society (London).
Ariel Eytan (Genève)
Psychiatre et psychothérapeute FMH, membre de l'ARPAG.
Correspondencia:
Dominique de Verdière
7, avenue Calas
1206 GENEVE - CH
Resumen
El trabajo grupal en coterapia consume mucha energía y produce con frecuencia descorazonamiento
en los cotrapeutas. Por ellos es necesario que tengan una comunicación abierta y frecuente y si
esposible que dispongan de la opinión de un tercero.
Cuando un terapeuta experimentado trabajo sólo y sin supervisión formal, puede, de todas formas,
guiarse por las comunicaciones que sobre su actuación emiten los miembros del grupo a través de
sus "partes sanas", que les sirven de espejo en que contemplarse.
PALABRAS CLAVE: Coterapia, grupo, espejo
Summary
Group work in cotherapy uses a lot of energy and frequently produces a disheartening result in the
cotherapists. For this reason an open and frequent communication is necessary and if possible that
they have a third party opinion.
When an experienced therapist works alone and without formal supervision, he or she can, in any
case, be guided by the communications issued by members of the group about their action through
their " partes sanas " or " healthy part " which can be used as a mirror for contemplation.
KEY WORDS: Cotherapy, group, model.
Introduction
Qu'entend-on par co-thérapie ? J. Forest (Forest J, 1998) la définit comme " la conduite partagée de
processus thérapeutiques, dans le même temps, le même lieu et par les mêmes personnes ".
La co-thérapie est largement pratiquée à Genève dans l'institution psychiatrique, aussi bien au sens
large (groupes pavillonnaires animés par l'équipe pluridisciplinaire d'unités intra-hospitalières) qu'au
sens strict (deux thérapeutes animant des groupes verbaux en ambulatoire). Nous ne parlerons ici
que de la co-thérapie au sens strict, pour des groupes d'orientation analytique, semi-ouverts et à
long terme, dans une consultation de secteur.
La co-thérapie a été souvent critiquée dans la littérature spécialisée, depuis l'expérience pionnière de
G. Genevard et P. Jordi (Genevard G, Jordi P, 1968). Pour l'avoir expérimentée et appréciée pendant
des années, nous aimerions donner ici un point de vue positif qui puisse encourager certains
thérapeutes à la pratiquer. Dans le cadre de l'institution elle nous paraît avoir une double utilité. Le
travail en co-thérapie comporte des aspects formateurs originaux. Il permet aussi de contenir plus
facilement des patients très symptomatiques.
L'expérience qui a nourri cette réflexion s'étend sur une période de onze ans, avec trois groupes
différents. Nous ne parlerons ici que du premier groupe mixte (cf. l'article sur " les règles "),. qui est
celui qui a duré le plus longtemps (dix ans), avec trois co-thérapeutes successifs (deux hommes et
une femme). Les deux auteurs de ce texte ont co-animé ce groupe ensemble pendant ses quatre
dernières années.
Le cadre institutionnel : un tiers présent-absent
L'institution, nous dit L. Michel (Michel L, 1998), est " un contenant dans lequel se déroule le groupe,
à l'image d'une poupée russe qui contient le dispositif groupal ". Elle est extérieure au groupe (qui
projette beaucoup de choses sur elle et réciproquement) et en même temps elle l'englobe.
L'institution est souvent à l'origine du projet groupal lui-même, ou alors il faut que le projet des
thérapeutes obtienne son accord. Elle joue donc un rôle important et exerce une influence sur le
fonctionnement du groupe.
Les groupes de notre Consultation de secteur ont été conçus d'abord comme des groupes de " postcrise " pour des patients sortant du Centre de thérapies brèves (C.T.B.), dans une optique de
prévention de la rechute comme Vèrdiere et Salvador ont dite (D. de Verdière, A. Salvador, 1989).
Par la suite ils ont été ouverts également à des patients suivis au long cours pour des troubles de la
personnalité.
La hiérarchie médicale s'est montrée favorable à la création de ces groupes qui permettaient à la fois
d'élargir le registre des traitements à disposition et de contribuer à la formation groupale des
médecins (il s'agissait de jeunes chefs de clinique ayant déjà une expérience de la psychothérapie
individuelle, généralement en analyse et sensibilisés à la dynamique de groupe).
Groupe semi-ouvert : pour les patients mais aussi pour les thérapeutes
Dans un groupe semi-ouvert, des changements de patients s'opèrent périodiquement. Ce qu'écrit C.
Neri (Neri C, 1997) à propos de l'arrivée d'un nouveau membre et de la réaction des anciens pourrait
aussi s'appliquer au nouveau co-thérapeute (bien qu'il soit généralement traité au début plus par
une certaine ignorance que par une hostilité ouverte) : le nouveau a le désir de commencer, de
regarder, de comprendre, mais il a aussi peur de se perdre, peur de l'anonymat, de la confusion, de
la fusion. Les anciens peuvent avoir une attente ou un espoir de renouveau et en même temps
ignorer l'intrus ou lui montrer une hostilité latente. Celle-ci n'est pas dirigée contre le nouveau en
tant que personne mais en tant que représentant de ce qui est extérieur au groupe, en tant
qu'étranger faisant irruption dans le groupe.
A chaque changement de participant, il s'agit d'un " nouveau groupe " dont il faut soigner la
mutation pour que l'angoisse de persécution ou la dépersonnalisation ne soient pas les plus forts.
Il faut donc faire connaissance, s'apprivoiser, rappeler le but et les règles du groupe. Il faut pour
cela veiller à ce que personne ne soit ignoré ou envahi et s'occuper des deux sous-groupes (anciens
et nouveaux), pour que chacun trouve ou retrouve sa place.
Dans notre pratique, les co-thérapeutes ont changé tous les deux ou quatre ans, soit parce qu'ils
quittaient le service, soit parce qu'ils devaient céder leur place à un collègue plus jeune désireux de
se former au travail groupal. Le changement de co-thérapeute ajoute un niveau de complexité
supplémentaire. Il ne devrait pas pour autant représenter un problème majeur mais plutôt un
matériel de plus à travailler.
Dans le groupe dont il est question, le tournus des patients était en moyenne de deux à trois ans
(mais avec des différences importantes entre certains patients). La thérapeute senior (que nous
appellerons S) était présente pendant toute la durée du groupe, ce qui lui donnait un rôle de "
mémoire du groupe " et garantissait une certaine continuité. Les trois co-thérapeutes sont restés
deux ans pour le premier (A), quatre ans pour la seconde (B) et quatre ans pour le dernier (C).
Nous avons choisi de décrire comment patients et thérapeutes ont vécu le premier changement de
co-thérapeutes, le passage de A à B, soit le plus difficile, car nous n'avions que deux ans de groupe
derrière nous. Avec l'expérience et une co-thérapie plus longue, le passage de B à C s'est fait plus
facilement.
Passage d'un co-thérapeute à l'autre
La période dont nous parlons s'étendant sur six mois, nous avons choisi des extraits significatifs
concernant la problématique de la séparation et du changement dans le groupe, car, parallèlement
au départ de A, trois patients vont quitter le groupe.
Au début de l'été où les thérapeutes (S et A) savent que A va changer de service en octobre, le
groupe se compose de sept patients, cinq femmes et deux hommes.
Thérèse et Catherine* (prénoms fictifs) (qui se sont connues au groupe-crise du C.T.B.), font partie
de ce groupe depuis le début, dix-huit mois auparavant. Victor est arrivé peu après. Puis,
successivement, Patricia, Paul, Sabine et Fabienne (prénoms fictifs) les ont rejoints.
Avant que A n'ait pu annoncer son départ en octobre, Thérèse et Victor parlent de leur projet de
quitter le groupe. Ils font un bilan relativement satisfaisant de leur participation au groupe pendant
un peu moins de deux ans, mais S et A ne s'attendaient pas à ce départ maintenant, d'autant plus
que Thérèse avait longuement parlé de ses problèmes de séparation, de sa peur de la dépendance et
de son sentiment qu'il lui faudrait au moins six mois pour préparer son départ. Or, là, elle est en
colère contre Paul qui est absent, et en rage parce que le groupe va s'interrompre deux semaines
pendant l'été. Elle choisit de partir avant les vacances du groupe, selon le principe : mieux vaut
quitter que d'être quitté. Elle ne se donne qu'un mois pour élaborer la fin. Plusieurs patients essaient
de la retenir, sans succès : sa décision est prise. Une tentative d'interpréter son départ comme une
fuite en avant reste vaine.
Une première allusion est faite aux changements habituels de médecins assistants en octobre, mais
Thérèse déclare : " On ne peut pas remplacer, en psychothérapie ". Or, c'est à la séance suivante,
en juillet, que A annonce pour octobre son départ du Service, et donc du groupe. Après une
première réaction de surprise silencieuse arrive la question de savoir si A aura un successeur dans le
groupe. Lorsque les patients apprennent que A va travailler en Gériatrie, fusent alors des fantasmes
sur la possibilité de retrouver ce médecin " quand on sera vieux " et sur l'image de la vieillesse,
sereine pour les uns, négative pour les autres. Thérèse dénie toute colère : " Je peux quitter le
groupe, car je n'ai plus d'agressivité ! " ainsi que ses problèmes de séparation : " On peut faire son
deuil avant ". La séance se termine sur le thème des animaux familiers qui, plus fiables que les
humains, leur apportent, eux, une affection fidèle et inconditionnelle...
D'abord déniée, la colère est exprimée à la séance suivante, où l'on assiste à une flambée de
critiques contre les " psy " en général : " C'est la froideur scientifique ", dit Patricia, " on fait comme
si on avait toutes les réponses, mais on ne peut pas vraiment comprendre la dépression si on n'est
pas passé par là ". Fabienne renchérit : " Qu'en savez-vous ? Ce sont souvent leurs problèmes
personnels qui poussent les psy à choisir cette profession... en plus ils sont chers ! et ils ont des
répondeurs impersonnels pour protéger leur vie privée contre leurs patients.. ce n'est pas comme le
médecin de famille à l'ancienne, qui, lui, était plus accueillant et disponible ! ".
Après le lien fait entre ces critiques et l'annonce du départ de A, Thérèse demande à Fabienne si ce
départ lui fait quelque chose. " Je suis contre la tristesse programmée, on verra bien ! " répond
Fabienne. Patricia, elle, a l'impression de " travailler comme une bête pour ne pas sentir les choses
pénibles ".
Thérèse aimerait " partir en beauté quand tout le monde sera là " (il manque Paul, en vacances).
Réplique de Fabienne, agacée : " Vous attendez une dernière séance agréable, mais peut-être que
c'est là qu'on va vous rentrer dedans ! ".
A la séance suivante, le conflit continue, en partie provoqué par Thérèse, qui dit ne vouloir revoir du
groupe après son départ que Catherine, qu'elle connaît depuis plus longtemps que les autres.
Thérèse se rappelle la règle de ne pas parler du groupe en dehors, mais elle pense qu'elle peut très
bien revoir amicalement Catherine et parler d'autre chose. Elle revient sur son bilan personnel : le
groupe a joué pour elle un rôle de contenant et lui a permis de négocier la séparation d'avec sa fille,
avec laquelle elle entretenait une relation fusionnelle. Elle trouve que Patricia et Sabine ont
également évolué. Fabienne se montre ironique devant ces compliments qui ne lui sont pas destinés,
mais elle doit reconnaître que Thérèse, qui prend beaucoup de place dans le groupe, l'a aussi
dynamisé et stimulé. Thérèse dit regretter de ne pas " savoir la suite du groupe ", mais elle admet
qu'on " ne peut pas à la fois quitter le groupe et y rester "...
Le groupe s'interrompt pour deux semaines. A la reprise, A est seul avec le groupe. Il tente de
rependre le thème des absences, des départs et des changements difficiles à vivre, mais Fabienne se
fait le porte-parole du narcissisme blessé des participants en disant : " Je veux épargner au groupe
ma colère, mais vous me mettez des tomates bien mûres dans les mains pour vous les jeter ! ". Le
climat est à la solitude et à la colère rentrée. Sabine se dit néanmoins contente de retrouver la
future co-thérapeute (B) qu'elle avait appréciée au C.T.B. En fin de séance, Fabienne annonce
également son départ, mais dit qu'elle attend le retour de S pour en parler plus longuement.
C'est ce qu'elle fait au retour de S. Fabienne rappelle qu'à l'origine elle était venue en espérant que
nous prendrions en soins son fils toxicomane. Cet espoir a été déçu, mais elle a fait tout un
cheminement pour " dompter son désespoir " et pour supporter sa relative impuissance par rapport
à son fils qu'elle ne peut " réparer ".
Son fonctionnement n'est plus sur le mode " tout ou rien " : elle accueille son fils, mais elle lui met
plus de limites et se dit que c'est lui maintenant qui est responsable de sa vie. Parlant du groupe,
elle le compare joliment à " un grand magasin, où l'on va chercher quelque chose de précis, qu'on ne
trouve pas, mais on repart avec autre chose ". Elle a appris à prendre un peu de distance face à ses
problèmes familiaux douloureux et surtout à s'occuper d'elle. En fait, même s'il y a des choses à dire
sur sa décision de partir en même temps que A et que d'autres patients, elle termine le groupe
plutôt mieux que prévu et se joint aux autres qui disent au revoir chaleureusement à A à la fin de sa
dernière séance. Seul manque Paul, absent pour deux semaines de service militaire. Pour une fois, il
se sentait assez bien pour le faire, mais cela lui évitait aussi la confrontation directe avec les
séparations.
Plusieurs patients se disent assez déçus qu'un homme soit remplacé par une femme, et Catherine
est inquiète pour la survie du groupe, car nous sommes passés en peu de temps de sept à quatre
patients.
Sabine, reparlant de son fils adoptif qui " cherche sa voie ", S fait le lien avec ce groupe qui est aussi
à un carrefour : avec plusieurs départs et pas encore d'arrivée, entre deux co-thérapeutes et entre
deux locaux (passage du C.T.B. à une salle de groupe à la Consultation).
En octobre, c'est l'arrivée de B. Comme souvent quand un nouveau médecin arrive, on lui parle
d'abord de médicaments, c'est plus neutre et cela permet de voir venir. Puis, Patricia restitue à B sa
peur de rechuter, car c'est l'anniversaire de sa venue au C.T.B., où B était son médecin. Le fait de la
revoir ravive pour elle le mauvais souvenir de sa décompensation. Sabine se plaint de n'avoir plus
d'ouïe, Patricia plus de goût ni d'odorat. S reformule la situation : Comment faire ou refaire
connaissance avec sa collègue et rompre la glace, va-t-on pouvoir s'entendre, dans les deux sens du
terme ? Le groupe se détend un peu, mais nous constatons qu'il n'est pas facile de faire à la fois le
deuil de l'ancien groupe et l'investissement du nouveau.
A la séance suivante, quand B annonce sa semaine de vacances d'octobre, la tension monte à
nouveau et trois patients font un véritable réquisitoire contre " les mères ".
La semaine d'après, S est seule avec le groupe. Trois patients sur quatre ont leur thérapeute en
vacances et se sentent abandonnés. Les mères sont vues comme très présentes mais trop
autoritaires, les pères comme faibles, absents ou indifférents. Tout se passe comme si les deux
thérapeutes femmes devenaient brusquement mauvaises : S qui est la thérapeute senior et stable
est vue comme une mère phallique. B (qui sera vécue plus tard un peu comme une grande soeur
idéalisée) représente au début un père absent qui ne peut encore faire le poids par rapport à celui
qui est parti.
S et B notent une tendance du groupe à vouloir régresser à des sortes de thérapies individuelles
devant témoins, du fait du petit nombre et devant l'effort d'adaptation à fournir.
Quand il manque un patient et que le groupe est petit, la personne manquante manque davantage et
" on est sur la sellette ", dit Patricia. On doit se dévoiler plus, " se mettre à nu " et " le temps de la
séance paraît plus long : si on est trois, ça fait une demi-heure chacun ! ". En outre, ajoute-t-elle,
dans un petit groupe elle a plus peur d'amener sa déprime, de contaminer les autres et de se faire
rejeter si le reste du groupe se sent envahi, impuissant ou épuisé, comme c'est le cas pour sa fille et
son ex-mari. Paul tente, à sa manière bien particulière, de la rassurer : " Vous n'avez pas de crainte
à avoir, je suis déjà déprimé ! ". Lui-même confond les prénoms du thérapeute et des patients qui
sont partis... Par la suite, Sabine trouvera aussi des avantages au nombre restreint de participants :
c'est l'occasion d'approfondir certains thèmes et de prendre davantage sa place.
Le premier trimestre du " nouveau groupe " n'a été facile pour personne. Chez les patients, plusieurs
défenses se sont faites jour : fuite en avant, déni de la colère et de la tristesse par rapport aux
départs et à l'angoisse de séparation, tendance à la régression. Mais chaque fois que la colère a pu
sortir, le groupe s'est détendu et la confiance a pu se renforcer, permettant ainsi un deuxième
temps, où des sentiments positifs ont pu aussi être exprimés.
En ce qui concerne S, même si elle se réjouissait de travailler désormais avec B, elle se sentait mal à
l'aise de lui présenter un groupe aussi réduit et mal en point. Il y avait plusieurs difficultés à
affronter : faire en même temps un deuil et un accueil, tout en préparant l'arrivée de nouveaux
patients à un rythme acceptable. En institution, ce sont les médecins qui posent les indications
thérapeutiques. Le groupe était dans les chiffres rouges depuis trois mois : difficile de continuer un
groupe avec seulement quatre patients. Il fallait donc relancer des contacts avec le C.T.B. et mieux
informer les médecins de la Consultation, pour que ce groupe puisse s'agrandir et reprendre un
nouveau souffle.
De son côté, B a trouvé difficile de succéder à un homme, pour le couple thérapeutique, et difficile
de " prendre en marche le train du groupe " (en entrant dans un groupe qu'elle n'avait pas contribué
à créer), avec le sentiment d'être de passage et la perspective de rester peut-être moins de temps
que certains patients. Mais elle a assez vite trouvé sa place, et les différences professionnelles entre
les thérapeutes ont permis une certaine complémentarité.
L'intégration d'un nouveau co-thérapeute reste un moment crucial dans un groupe semi-ouvert.
D'autant plus que les patients n'y sont pas préparés au départ. En effet, lors du (ou des) entretien(s)
préliminaire(s), nous leur précisons que le nombre de patients peut aller jusqu'à 8 à la fois et que,
lorsque quelqu'un part, une place se libère pour quelqu'un d'autre, à plus ou moins brève échéance.
Mais nous ne leur parlons pas de possibles changements de co-thérapeutes ; d'abord parce que
certains patients partiront avant les 2 à 4 ans en question et ne seront donc pas concernés, ensuite,
parce que nous ne savons pas à l'avance le temps que durera telle ou telle collaboration. En
introduisant ce changement dans le cadre en cours de route, comme Michel a dit (L. Michel, 1998),
c'est un peu une surprise empoisonnée que nous leur faisons. Mais en même temps, c'est aussi un
reflet de la vie, où nous ne savons pas tout au départ, heureusement. C'est alors l'occasion d'aider
les patients à faire face à l'imprévu.
Cette intégration se fait en plusieurs étapes. Au début, le co-thérapeute est relativement silencieux.
Il faut en effet lui laisser le temps d'arriver, de faire connaissance avec les patients et de voir
comment fonctionne le groupe. Pour S., qui est alors la plus active, l'inconvénient passager de
conduire le groupe devant témoin est compensé par le plaisir d'avoir un nouveau partenaire choisi,
avec qui partager l'expérience.
Après quelques semaines (le temps d'adaptation peut varier selon les collègues), il s'agit que le cothérapeute puisse progressivement prendre une part plus active dans le groupe. Pour cela, S doit lui
laisser suffisamment d'espace et ne pas intervenir toujours en premier. Les interventions sont donc à
moduler au fur et à mesure. Ceci est discuté au post-groupe, qui constitue un temps de
compréhension et d'élaboration partagées. C'est là, avant le groupe lui-même, que le nouveau cothérapeute a l'occasion de prendre sa place. Les deux thérapeutes se retrouvent dans une situation
de partenariat, sans que leurs différences soient gommées.
A partir du moment où il leur a été possible de parler de la place respective de chacun, il s'agit
d'alterner la parole et l'écoute, de pouvoir suivre sa propre inspiration, tout en tenant compte du
rythme de l'autre. C'est alors, idéalement, ce qui est décrit comme le stade de la " co-thérapie sans
efforts ", Dick a dit (B. Dick et coll., 1980), une étape où domine la créativité personnelle, dans le
respect de celle de l'autre.
Lorsque le nouveau co-thérapeute, qui a " hérité " des patients qui l'ont précédé, peut proposer luimême de nouveaux patients, ceci constitue pour lui un facteur d'intégration. C'est ainsi que C, qui
était à l'époque chef de clinique au C.T.B, a commencé à envisager pour certains patients un
traitement de post-crise en groupe.
Entrée d'un nouveau patient
L'occasion s'est présentée avec Karine, une jeune femme particulièrement intelligente, venue en
Suisse pour faire des études, que C suivait pour un état dépressif avec des épisodes de boulimie.
Cette indication provoqua un premier désaccord entre les thérapeutes. En effet, lors de l'entretien
préliminaire à trois, la patiente présenta un comportement extrêmement démonstratif. Après avoir
quitté sa chaise pour s'asseoir par terre, elle partit de l'entretien fâchée, en lançant ses affaires à
travers le bureau. Au delà de l'hyper-expressivité émotionnelle évidente, nous avons fait l'hypothèse
suivante : la perte de la relation duelle avec C était à l'origine de sa rage. Cet entretien à trois
témoignait du fait que C n'était plus le seul interlocuteur pour Karine, qui devait le partager avec
d'autres au sein d'un groupe. Deux entretiens supplémentaires ont été nécessaires pour convaincre
la thérapeute senior du bien fondé de cette indication. Cette dernière n'a plus été remise en question
par la suite. Karine a pu terminer ses études dans de bonnes conditions, en agissant moins ses
conflits. Le groupe l'a aidée à verbaliser davantage et de son côté elle en a relancé la dynamique, en
amenant notamment ses bonnes capacités d'introspection et son vécu de migrante. Etrangère dans
le groupe, se reprochant d'avoir laissé sa famille et sa culture, elle appréciait aussi cette
indépendance nouvelle. La problématique de la distance et de l'autonomie transposée dans le groupe
a été reprise par d'autres et a constitué une ouverture intéressante.
Absence d'un des co-thérapeutes
Enfin, un pas important est accompli lorsque le nouveau co-thérapeute se sent prêt à mener le
groupe seul. Il peut s'agir d'une nécessité ponctuelle, si les vacances des thérapeutes ne coïncident
pas, ou plus durable, en cas de maladie ou d'accident. Avec l'expérience, ceci peut même
représenter une richesse supplémentaire permettant de différencier les thérapeutes, comme le
montre l'exemple suivant :
Evelyne, une patiente d'une quarantaine d'années, entrée dans le groupe environ quinze mois avant
l'arrivée de C, continuait de se comporter comme s'il n'existait pas... Elle avait été adressée au
groupe pour des difficultés relationnelles (et en particulier conjugales) et présentait des traits de
personnalité borderline. Impulsive et assez instable sur le plan affectif, elle interagissait avec les
membres du groupe et surtout avec S qu'elle connaissait depuis le début. Elle sollicitait auprès d'elle
des conseils à propos de l'éducation de ses enfants, et, parfois anxieuse et irritable, entrait en conflit
de manière assez violente, allant même exceptionnellement jusqu'à quitter la séance. C éprouvait un
sentiment d'exclusion et de frustration. A l'occasion de l'absence de S, C est devenu un interlocuteur
à part entière, avec une identité professionnelle propre. En tant que médecin, Evelyne a pu le vivre
comme quelqu'un susceptible d'intervenir autrement ou d'apporter d'autres réponses que celles de la
psychologue. Peu à peu, la complémentarité des thérapeutes a pu être utilisée pour aider la patiente
à sortir d'un fonctionnement clivé, dans lequel on trouvait une thérapeute femme très investie, et un
co-thérapeute homme apparemment inexistant. Nous avions relevé une analogie avec la situation
familiale de la patiente : très proche de sa mère, elle évitait tout contact avec son père, suite à
d'anciens conflits.
Les choses ont évolué pour elle vers une meilleure différenciation de ses interlocuteurs dans le
groupe. Elle n'hésitait plus à s'adresser directement à chacun ou à entrer en conflit avec l'un ou
l'autre des thérapeutes. Tous deux étaient pris en compte dans l'élaboration de ses mouvements
d'agressivité ou de régression, ce qui mettait fin au clivage antérieur. Nous avons l'impression
qu'elle a pu transposer cela dans sa relation avec ses parents, se réconciliant progressivement avec
son père, tout en prenant un peu de distance par rapport à sa mère.
Nous pourrions ajouter un autre cas de figure de la co-thérapie en l'absence du co-thérapeute. Nous
venons de voir une situation où C a pu affirmer son identité de médecin lors d'une absence de S
pendant quelques semaines. Que se passe-t-il quand la thérapeute senior se retrouve seule à
conduire le groupe pendant le congé maternité de sa co-thérapeute médecin ? Ceci est arrivé avec
B, pendant six mois. Un contact téléphonique régulier à propos du groupe a eu lieu entre B et S
durant cette période. Ceci a facilité à B son retour au groupe, tout en procurant à S un soutien à
distance et des échanges différents de par le recul de B.
Malgré une pression institutionnelle visant à remplacer la co-thérapeute absente, S a conduit le
groupe seule en vertu de la non-interchangeabilité des thérapeutes. Son identité de psychologue
l'exposait pourtant à des remarques comme celles d'Evelyne : " La doctoresse ne va pas être
remplacée, vous allez faire les deux rôles ? ". A la fin du congé maternité, la même patiente a pu
dire : " J'étais un peu inquiète qu'on n'ait plus de médecin, mais je me suis dit : on verra bien ! En
fait ça c'est bien passé, mais on est contents de ce retour ".
En vivant le fait d'être seule avec le groupe pendant six mois, S se sentait à la fois plus anxieuse et
en même temps contente d'avoir en quelque sorte son groupe à elle. Sans regard " contrôlant " en
séance, elle se sentait plus libre d'intervenir selon son style propre et satisfaite de pouvoir assumer
momentanément la situation en solo. Cela lui a aussi permis de comparer son vécu dans les deux
cas et de persévérer dans la co-thérapie en connaissance de cause.
Avantages et inconvénients de la co-thérapie
Il est temps maintenant de résumer les principaux inconvénients et avantages de la co-thérapie, en
nous référant à la fois à la littérature et à notre expérience.
Du point de vue des inconvénients, nous n'entrerons pas en détail dans les arguments bien connus
de G. Genevard et de P. Jordi (Genevard G, Jordi P, 1968) ou de leurs successeurs. Nous aimerions
simplement donner notre sentiment, qui est que ces deux auteurs remettent moins en question la
co-thérapie en soi que certaines conditions de son application.
Outre le fait que G. Genevard et P. Jordi (Genevard G, Jordi P, 1968) ont fait à l'époque oeuvre de
pionniers (ne disposant pas de toutes les études ultérieures), ils ont vécu à leurs dépens le fait que
la cooptation et l'expérience ne suffisent pas. Bien sûr, il est facile après-coup de dire que deux
thérapeutes du même sexe ayant à peu près le même âge et la même identité professionnelle n'est
pas quelque chose de facilitant. De même, le fait qu'un seul des deux voyait les nouveaux patients a
renforcé la tendance de l'autre à se vivre comme un thérapeute de " deuxième classe ", n'étant pas
pré-investi comme son collègue d'un transfert positif par les patients.
Leur principale contribution reste la découverte qu'il faut absolument s'occuper, non seulement des
transferts et contre-transferts, mais aussi de l'inter-transfert, c'est-à-dire de la relation entre les cothérapeutes. Quand les sentiments de rivalité, de dévalorisation ou d'hostilité vont jusqu'à un
sentiment de persécution, il est évidemment urgent d'ouvrir le problème, si l'on ne veut pas que ce
conflit ne se répercute gravement sur le groupe, qui risque d'éclater. Mieux vaut ne pas attendre
d'en arriver là pour élaborer l'inter-transfert.
D'autres auteurs critiquent surtout la co-thérapie pratiquée par deux débutants. Il est vrai que
même avec un bon superviseur, le matériel à discuter est abondant et que la co-thérapie aurait
tendance à compliquer les choses. C'est pourquoi nous préconisons un autre modèle : un couple
senior-junior, où le plus expérimenté aide le plus jeune à acquérir de l'expérience et où le plus jeune
apporte un regard neuf qui aide son collègue à se remettre en question.
Un autre des arguments contre la co-thérapie mérite d'être relevé. C'est celui de l'interprétation :
qui la fait ? à quel moment ? à quelle cadence ? etc., avec le risque de provoquer un conflit si les
deux thérapeutes ne sont pas sur la même longueur d'onde.
Le bon usage de l'interprétation dépend probablement du degré d'alliance des thérapeutes entre
eux, de leur entente (qui passe par l'ouverture de conflits toujours possibles) et de la durée de leur
collaboration, qui fait qu'au bout d'un certain temps, ils se connaissent bien et peuvent se faire
confiance mutuellement. Et s'il peut arriver malgré tout qu'ils ne soient pas d'accord en séance sur
l'intervention de l'un d'eux, il reste le post-groupe (et éventuellement la supervision) pour s'en
expliquer. Les séances suivantes pourront alors être l'occasion de nuancer les choses ou d'en
approfondir la compréhension.
Mentionnons encore quelques autres arguments contre la co-thérapie :
1 - On peut dire que celle-ci complique les choses, Chapelier a dit (J.-B. Chapelier, 1986), mais aussi
bien qu'elle les enrichit, car on apprend beaucoup en s'occupant de l'inter-transfert.
2 - " La co-thérapie protège de l'angoisse, pas du danger ", Forest a dit (J. Forest, 1998). Selon
nous, mieux vaut travailler à deux que de renoncer à faire du groupe à cause de l'angoisse
déclenchée par la situation groupale.
3 - Par rapport au choix d'un couple de thérapeutes hétérosexué, on peut se demander s'il n'y a pas
là chez les thérapeutes un désir de faciliter la triangulation et un transfert de type parental, pour se
protéger d'un matériel prégénital plus angoissant, avec ses mécanismes de défense primitifs. Or ceci
est une illusion. Clivage et projection sont à l'oeuvre aussi bien dans les groupes conduits par un
couple hétérosexué que par un couple de thérapeutes du même sexe. Il ne suffit pas de mettre un
groupe devant un homme et une femme pour se placer à un niveau oedipien. Les thérapeutes ne
sont pas les parents des patients et, pour reprendre le mot de S.H. Foulkes (Foulkes SH, 1970) : " Il
est vrai que la famille est un groupe, mais non que le groupe est une famille ".
Résumons maintenant les principaux avantages de la co-thérapie :
1 - La situation groupale est complexe, et " tout ne peut être perçu par un seul thérapeute ", si bon
soit-il, Genevard a dit (G. Genevard, P. Jordi, 1968). Deux têtes valent mieux qu'une pour
comprendre ce qui se passe.
2 - L'argument comme quoi la co-thérapie faciliterait l'absentéisme alterné des co-thérapeutes ne
s'applique guère à des thérapeutes vraiment motivés et impliqués dans la conduite du groupe. Mais "
personne n'est à l'abri d'un incident de santé, et la continuité du travail est alors assurée ", Forest a
dit (J. Forest, 1998).
D'autre part, il est peu souhaitable d'interrompre longtemps le groupe en Institution (par exemple
pour les vacances d'été), tant les patients sont souvent particulièrement sensibles à un vécu
d'abandon. Lorsqu'on est deux, on peut limiter l'interruption du groupe, en ne faisant pas (ou peu)
coïncider nos vacances. Le fait que le groupe continue, " même en cas d'absence occasionnelle ou
passagère d'un thérapeute ", Forest a dit (J. Forest, 1998), permet à la fois une certaine
permanence du fonctionnement du groupe, et une meilleure différenciation, par les patients, de
chacun des deux thérapeutes, que lorsque le sous-groupe des thérapeutes est toujours là face au
sous-groupe des patients.
3 - L'écoute de deux thérapeutes est un enrichissement, car c'est souvent complémentaire et " c'est
aussi une protection contre les effets d'un contre-transfert trop intense, qu'il soit positif ou négatif ",
Forest a dit (J. Forest, 1998). L'exemple suivant illustre les bénéfices d'une mise en perspective de
deux perceptions différentes d'une situation :
A l'arrivée de C, Paul, le plus ancien patient du groupe était aussi depuis des années en traitement
individuel en privé, à raison de deux entretiens par semaine. Sa thérapeute nous l'avait adressé, afin
qu'il puisse travailler en situation ses difficultés relationnelles d'ordre phobique. Il mettait en avant
sa timidité, qui l'empêchait de faire des rencontres, de nouer une relation sentimentale et surtout de
fonder une famille. En séance il était souvent le centre d'intérêt des autres patients qui tentaient de
l'aider de diverses manières . Mais ces bonnes volontés se trouvaient régulièrement mises en échec,
ce qui finissait par décourager ou fâcher les patients en question. D'autant plus que Paul ne se
mobilisait guère lorsque les sujets amenés par les autres ne le concernaient pas directement. Il se
positionnait en victime face à S et reproduisait dans le transfert son vécu d'une mère perçue comme
autoritaire et castratrice (ce qui n'était pas toujours facile à supporter à la longue). Il projetait sur la
co-thérapeute précédente (B) l'image d'une soeur idéalisée. Ce schéma avait tendance à se figer et
le groupe faisait le jeu des résistances du patient.
L'arrivée de C, nouveau co-thérapeute homme, a permis de révéler un autre aspect de la
problématique de Paul, à savoir : le pendant de son inhibition, son désir d'être au centre de
l'attention, cette recherche de valorisation s'exerçant par le biais d'une attitude d'élève
consciencieux et assidu. Nous avons pu diversifier alors nos stratégies thérapeutiques. Au lieu de
continuer à le protéger ou à l'encourager jusqu'à l'épuisement, nous avons commencé à le
confronter davantage. Ce qui a provoqué l'émergence d'affects agressifs, jusque là inconscients.
Cette prise de conscience lui a permis de mieux s'affirmer dans sa vie professionnelle, en abordant
certains conflits au lieu de les éviter systématiquement.
4 - La formation est peut-être le principal avantage de la co-thérapie, ce que soulignent plusieurs
auteurs : Bloomfield, Dick, Forest, Michel (I. Bloomfield, 1987, B. Dick et coll., 1980, J. Forest, 1998,
L. Michel, 1998, Sélection " spécial thérapies de groupe à expression verbale ", 1997).
Nous n'allons pas développer ce point qui est maintenant bien connu, mais nous aimerions préciser
deux choses :
- Tout d'abord, il s'agit selon nous d'une formation réciproque, quelle que soit l'expérience du
thérapeute senior. Le fait de discuter d'une situation vécue en commun amène en effet des points de
vue parfois différents qui font réfléchir et aident à clarifier notre pensée. En outre, ce dispositif
permet à l'un ou l'autre des thérapeutes d'être ponctuellement moins actif et donc plus attentif aux
aspects non verbaux de la séance.
- Ensuite, le fait de discuter en dehors des séances entre co-thérapeutes ne constitue qu'un premier
temps de réflexion et ne dispense pas d'une supervision à deux pendant les premières années, ou
plus tard, ponctuellement. L'aide d'un tiers peut aussi être précieuse en cas de désaccord entre les
thérapeutes. Et, pour l'avoir expérimenté plusieurs années durant, nous ne saurions trop
recommander également la participation à des séances d'intervision entre plusieurs thérapeutes ou
couples de thérapeutes de groupe. C'est R. Kaës, cité par J-B. Chapelier (Chapelier JB, 1986), qui
souligne l'utilité pour les thérapeutes (qu'ils soient un ou deux) d'être reliés à une équipe, à un
groupe d'affiliation, lequel est peut-être encore mieux placé qu'un seul superviseur pour " analyser
une pluralité groupale ".
5 - La co-thérapie renforce la fonction contenante du groupe pour les patients. Prenons l'exemple de
Denis, un patient qui n'aurait peut-être pas pu rester dans un groupe conduit en mono-thérapie. Agé
d'une quarantaine d'années, il avait un diagnostic de trouble bipolaire, et, parallèlement au groupe, il
était suivi individuellement à la Consultation. Hospitalisé plusieurs fois durant ses phases maniaques,
son évolution a été globalement favorable, avec une diminution de la fréquence et de l'intensité des
phases aiguës, et, pendant tout un temps une meilleure compliance à son traitement de lithium.
Malgré ce trouble mental grave, il a profité du groupe. Essentiellement, il a fait l'expérience de ne
pas détruire le groupe pendant ses périodes de crise, alors que, toujours pendant ses phases
maniaques, il avait sérieusement compromis sa situation familiale et professionnelle.
Sa participation au groupe a été interrompue par des hospitalisations et par des prises en soins au
C.T.B., mais chaque fois aussi brièvement que possible. De retour au groupe, où sa place était
gardée, il était sensible au regard que les autres patients portaient sur son état actuel et passé, et
nous découvrions chez lui des capacités de remise en question, de critique et d'introspection. A un
niveau concret, la co-thérapie nous a permis de le maintenir au sein du groupe dans des moments
particulièrement difficiles. Lorsqu'il devenait très irritable et logorrhéique, nous n'avions pas d'autre
solution que de l'aider à quitter provisoirement la séance. S restait avec le groupe, tandis que C
sortait de la salle avec le patient. Après un court entretien individuel qui lui permettait de baisser son
niveau d'excitation, Denis a, à chaque fois, été capable de revenir en séance et de la terminer
autrement que sur un éclat ou un acting. Ces incidents sont devenus de plus en plus rares et plus
faciles à gérer au fil des années.
6 - La situation de co-thérapie permet de travailler les clivages d'une autre manière qu'en monothérapie, où le groupe a parfois tendance à déplacer sa colère soit sur un patient qui se prête au rôle
de bouc émissaire, soit sur l'Institution ou sur la société qui sont " mal faites "... Ceci pour ménager
le thérapeute dont on dépend. Il y a d'ailleurs parfois plus d' " illusion groupale " quand un
thérapeute est momentanément seul au groupe. S'ils sont deux, les clivages peuvent se porter sur le
couple des thérapeutes, dont l'un sera " idéalisé, l'autre fécalisé ", Forest a dit (J. Forest, 1998).
Lorsque les thérapeutes s'entendent suffisamment bien pour que celui qui est momentanément
préservé n'entre pas en collusion avec le groupe mais repère l'identification projective, le
dépassement de ces mécanismes de défense primitifs en est facilité, et le couple thérapeutique en
est renforcé.
7 - Enfin, nous ne pouvons que souscrire à la conclusion de J. Forest (Forest J, 1998) qui parle du "
plaisir du voyage " en co-thérapie, à savoir :
" Le plaisir de la découverte, d'un travail d'élaboration qui avance, dans lequel on voit les
changements s'opérer chez les patients, où se développent les capacités d'adaptation et le travail
d'analyse pour les thérapeutes ; et surtout le plaisir de penser ensemble, peut-être le meilleur de ce
que l'humain peut atteindre, lorsque les circonstances le lui permettent ".
Les conditions nécessaires à un fonctionnement satisfaisant en co-thérapie
Nous avons déjà vu qu'en Institution, on peut préconiser, idéalement :
1 - Un couple hétérosexué, de même formation analytique (avec une psychanalyse personnelle et la
participation à un groupe de sensibilisation à la dynamique de groupe) mais d'identité
professionnelle différente (par exemple un médecin et une psychologue) ;
2 - Un thérapeute stable et plus expérimenté (senior) et des co-thérapeutes successifs plus jeunes ;
3 - Une durée de 2-3 ans (voir 4 quand c'est possible) pour chaque co-thérapeute ;
4 - L'engagement à pratiquer régulièrement cette activité (comme pour les psychothérapies
individuelles), indépendamment des pressions de l'Institution concernant les médecins (souvent
dérangés en urgence au milieu de leurs tâches habituelles). Il s'agit donc de préserver le temps
nécessaire pour le groupe et ce qui va avec.
5 - Le fait de voir ensemble les nouveaux patients proposés pour le groupe ;
6 - La cooptation réciproque. C'est habituellement le senior qui propose le groupe à un futur cothérapeute éventuel, mais le désir de travailler ensemble peut venir aussi du plus jeune. L'important
c'est qu'aucun des deux ne se voie imposer cette collaboration, qui doit résulter d'un choix
réciproque, dépendant à la fois d'un facteur institutionnel et d'un facteur d'ordre affectif (affinités,
estime et sympathie au départ, car on ne peut s'exposer et s'impliquer que sur une base de
confiance suffisante). Si c'est peut-être mieux de travailler en couple hétérosexué (situation plus
normale avec un groupe mixte), Yalom (Yalom ID, 1975) (Yalom ID, 1983) insiste sur le fait qu'il est
encore plus important de se sentir à l'aise avec l'autre, homme ou femme ;
7 - S'astreindre régulièrement à un post-groupe après chaque séance de groupe (dans notre
pratique, pendant 45 mn). Il s'agit de se donner un espace régulier de parole entre thérapeutes,
avec trois fonctions principales :
- Tout d'abord, commenter " à chaud " nos impressions respectives sur la séance.
- Ensuite, se constituer un matériel écrit permettant d'y réfléchir après-coup, en se remémorant
dans la mesure du possible la chronologie de la séance et en prenant des notes ensemble sur le
contenu, les thèmes, les mouvements et les interactions principales.
- Enfin, commencer à discuter de nos éventuelles divergences sur la manière de voir aussi bien un
patient, une situation interpersonnelle ou nos interventions respectives.
8 - Un temps de pré-groupe plus court (15 à 30 mn) est plus contesté ou moins pratiqué par la
plupart des co-thérapeutes. Dans notre expérience, c 'était utile :
- Pour survoler nos notes de la séance précédente, non pas, bien entendu, pour enchaîner sur la fin
de la séance précédente, car il s'agit d'abord de laisser le groupe associer aussi librement que
possible. Mais à une séance par semaine (et non quatre comme en analyse, ou deux comme dans
les groupes en pratique privée), avec tout ce qui se passe dans l'Institution, il peut être utile de " se
rafraîchir la mémoire ", ne serait-ce que pour mieux faire des liens par la suite. C'était
particulièrement utile quand nous n'avions pratiquement pas d'autre occasion de discussion avec un
co-thérapeute travaillant dans une autre unité du secteur. Cela aidait aussi à mieux se connaître.
- Pour élaborer avec un peu de recul ce que nous n'avions pu qu'aborder durant le dernier postgroupe. C'était ainsi l'occasion de discuter de l'évolution du groupe et des priorités du moment
(comme les candidatures de nouveaux patients, etc.).
Conclusion
Nous n'aimerions pas avoir donné l'impression de minimiser les difficultés de la co-thérapie. Le
travail groupal, si passionnant qu'il puisse être, prend beaucoup d'énergie et peut entraîner aussi
chez les thérapeutes des moments de régression ou de découragement. Il est alors essentiel de
pouvoir s'en ouvrir l'un à l'autre, et le cas échéant, de se faire aider par un tiers ou un groupe de
référence.
Nous pourrions comparer la co-thérapie et ses risques avec la pratique de la montagne : ce qui est
dangereux, écrivait un journaliste, " ce n'est pas la montagne, c'est la méconnaissance qu'en ont
certains touristes, inconscients du danger et négligeant de faire appel à un guide alors qu'ils sont
mal préparés ou mal équipés "... Il y a également des filets de sécurité nécessaires à la co-thérapie
bien comprise. Moyennant quoi, et pour paraphraser une formule célèbre, nous pourrions dire que le
plaisir de la co-thérapie existe, nous l'avons rencontré à plusieurs reprises...
Des psychothérapeutes de groupe chevronnés comme H. Solms et C. Dubois ont longtemps pratiqué
la mono-thérapie, mais ils avaient la possibilité de partager leurs expériences dans un groupe de
pairs. Et l'un d'eux, depuis plusieurs années maintenant, s'est mis à pratiquer la co-thérapie avec
une collègue plus jeune.
On pourrait dire aussi que pour un thérapeute expérimenté qui travaille en solo et qui n'est plus en
supervision (et pas constamment en intervision), c'est le groupe lui-même (vu comme un tout et
représentant plus que la somme de ses participants) qui lui tiendrait lieu en quelque sorte de cothérapeute, lorsqu'il peut travailler avec la partie saine de chacun et que le groupe joue bien son rôle
de miroir, voire de " galerie des glaces ", selon le mot de L. Michel (Michel L, 1998).
Alors nous terminerons par une question : Peut-on échapper à la co-thérapie au sens large ? N'estelle pas quelque chose d'utile, voire d'incontournable ?
BIBLIOGRAPHIE
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Journal of Group Analytic Psychotherapy. Sage Publications, vol. 20, n° 4, 319-331 - 1987.
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Psychothérapie psychanalytique de groupe, 85-102 - 1986.
3 - Dick B., Lessler K., Whiteside J. : A Developmental Framework for cotherapy - International
Journal of group psychotherapy, 273-285 - 1980.
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5 - Foulkes S.H., Anthony E.G. : Psychothérapie de groupe - Approche psychanalyique - Epi - 1969.
6 - Foulkes S.H. : Psychothérapie et analyse de groupe. Ch. IV : Le rôle du leader dans la
psychothérapie analytique de groupe, 55-65 - Payot, Paris - 1970.
7 - Genevard G., Jordi P. : Essai d'évaluation des concepts de statut et de fonction des cothérapeutes en groupe, in : Pratique de la psychothérapie de groupe.T.II : Les techniques - P.-B.
Schneider, 103-142 - Coedizione : P.U.F., Paris et C.E. Giunti, G. Barbera, Ed. Universitaria, Firenze
- 1968.
8 - Michel L. : Groupes analytiques : Variations sur le Tiers - Psychothérapies, vol. 18, n° 1, 31-38 1998.
9 - Neri C. : Le Groupe. Manuel de psychanalyse de groupe - Dunod, Paris - 1997. Cf. pp 99-106 :
L'arrivée de nouveaux membres.
10 - Salvador A. : L'évolution de l'hôpital de jour vers le Centre de Thérapies Brèves - Médecine et
Hygiène 42, 2645-2649 - 1984.
11 - Yalom I.D. : The theory and practice of group - psychotherapy, 2nd édition, Basic Books, Inc.,
Publishers, New York - 1975 (cf. co-therapists, 420-424).
12 - Yalom I.D. : Inpatient Group psychotherapy, Basic Books, New York - 1983.
13 - Le temps et les groupes - Psychothérapies, vol. V, n° 1 - 1985.
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